COVID-Grenzen (2020)
Le 16 mars 2020, l’Allemagne a décidé de fermer ses frontières suite aux ravages de la pandémie du COVID-19.
Cette décision est avant tout politique et sanitaire. Cependant elle reste déconnectée d’une réalité propre aux frontaliers. J’interroge en particulier la frontière franco-allemande entre Sarre et Grand-Est mais il est probable que les autres frontières soient concernées par des problématiques similaires.
Ce documentaire pose un regard sans affect sur ces paysages traversés par la frontière entre ces deux états. Un regard silencieux et curieux, loin des polémiques et des accusations. Les médias allemands, français et internationaux ont traité de cette situation d’exception et des conséquences qu’elle a occasionné. Il y a eu beaucoup de « bruit » autour de la fermeture de ces frontières, des faits divers honteux et haineux, et des peurs anciennes (dont on pensait qu’elles étaient enterrées) se sont finalement réveillées.
Ces photographies cherchent à marquer et à prendre note de ce fait d’Histoire. Elles se veulent tel un constat sur le terrain, une image-preuve in situ. Elles fonctionnent comme un long écho silencieux au bruit médiatique éphémère. Elles étudient ce paysage et son identité, elles le scrutent et l’interrogent.
Ce documentaire témoigne aussi de mon désarroi tout à fait personnel face à cette situation inédite.
La réalité des frontières est celle des frontaliers (travailleurs ou non), des citoyens français et allemands qui vivent d’un côté ou de l’autre, des paysans qui vivent d’un côté et qui travaillent de l’autre, de l’allemand qui va chercher son pain et faire ses courses alimentaires en France (parce que c’est meilleur), du français qui va chez DM et Aldi (parce que c’est moins cher), de l’allemand qui s’achète sa maison en France car le marché immobilier est plus favorable, du français qui vient travailler en Allemagne car les salaires sont plus élevés et qu’il y a plus d’offres, et il y a les allemands qui tombent amoureux de françaises (et inversement), les bonnes auberges françaises, les clopes allemandes bon marché, l’essence moins chère en Allemagne, les pôles et institutions culturelles en France, les centres villes pittoresques et authentiques en France, les marchés de noël en Allemagne…
L’identité de ces régions est TRANS-frontalière, les cultures déteignent l’une sur l’autre et une certaine INTER-dépendance s’est installée au fur et à mesure de l’Histoire. Métaphoriquement, cette frontière entre Sarre et Grand-Est n’est donc pas nette, ni précise, elle est perméable, variable, plus ou moins en dégradé ou en pointillés. Elle est vivante.
Je suis franco-allemande. Je vis en Allemagne, ma famille vit ici aussi, j’ai mon atelier d’artiste ici, mais je travaille essentiellement en France, ma compagne est française et l’essentiel de ma vie sociale et culturelle est en France.
Le 16 mars, l’Allemagne ferme ses frontières et la France est confinée.
Je quitte Nancy en catastrophe pour revenir à Saarbrücken.
Je me sens coupée en deux, le cul entre deux chaises, en pleine dissonance cognitive.
Mes amis sont confinés en France et j’enseigne à distance à mes étudiants français. Je suis en Allemagne, il fait beau, et les restrictions nationales m’autorisent à sortir. Je passe mon temps libre (de mars à mai 2020) à sillonner la frontière entre Sarre et Grand-Est avec ma chambre photographique, les pieds solidement ancrés dans le sol allemand, je regarde la France en contre-jour et je constate les contrastes entre nos deux pays, la radicale différence entre théorie et pratique, la désillusion d’une utopie européenne qui s’inscrit dans le paysage franco-allemand.
Ces images seraient destinées à une exposition et seraient présentées en grands tirages de 80cm de large. La taille invite à découvrir les détails et anecdotes qu’elles contiennent. La légende comprendrait les coordonnées GPS de chaque lieu de prise de vue et un court commentaire sur l’expérience vécue sur place (personnes rencontrées, trafic, discussions, scènes/évènements…).